Le Duc Des Prunes - Episode 1

 

The lost Episodes Plage 7 (3'51)


Je ne savais rien de ce qui se passait à la clinique de la musique noire en ce moment. En fait, j'avais fait quelques jams avec Marvin dans son comté de l'Alabama, il y a quelques années, mais en fait, nous avions perdu le contact. J'avais juste appris, au détour d'un conversation, sur le tarmac d'un parking, tout prêt d'un motel crasseux qu'une bande d'allumé noir avait décidé de se lancer dans l'apprentissage du jazz à leur frères de peines. Deux trois Jockey Slut ivre de Budweiser, avait du y agrémenter des propos racistes aussi aigres que l'odeur de leurs aisselles. Jimmy et moi, ça fait bien longtemps qu'on ne leur prête plus attention. On a du matos à bourlinguer, du Wisconsin à l'Alabama, de la Floride jusque dans le Maryland, et avec nos tronches d'apaches, on est pas du genre à se faire remarquer sur des tendances politiques. Bien longtemps qu'on sait qu'il n'y a plus rien à tirer du WASP camionneur pour qui le jazz, c'est Dean Martin, et le rock, Bill Haley. Et puis Jimmy, il a toujours peur de se faire abîmer les doigts dans une mauvaise bagarre. Pas que soit une de ces petites chochottes, ça non, je peux vous dire que s'il n'y avait que lui, on cognerait sévère. Mais Jimmy est batteur, un bon batteur, épileptique comme il faut, avec un tendance à ne pas en rajouter sur la frappe, d'abord en moulinant, et puis en frappant sèchement sur les toms. Tout son fric y passe. Mais un jour ça marchera, et on arrêtera de se cogner ces putains de transports de Coil. Moi, je suis bassiste. Mais laissez moi vous présenter.
Je m'appelle Roy, et je bosse depuis 5 ans déjà, en fait depuis que mon père m'a foutu hors de la casa parental pour la United Coil of Annapolis, la grosse industrie de la région. Je transporte le charbon pour la Général Motors ou pour DeNemours. Une vie de chien, quoi. Surtout pour un chicanos. Depuis la fin de la guerre, les collègues m'appellent Speedy Gonzales. De l'humour y paraît. Surtout qu'à Baltimore, même s'ils ont pas l'humour fumeux de leur potes du KKK, ils aiment bien bastonner à la dure. Sans doute une vieille coutume des appalaches. Mais on s'en fout. Jimmy, lui, il est d'origine comanche. Il boit comme un trou, mais depuis que les anglais les ont empoisonnés avec l'eau de feu, les indiens tiennent l'alcool autant qu'un vieil irlandais. Alors nous, comme en Alabama, les petits blancs on s'en méfie sévère. D'autant plus que Jimmy et moi, on les a connu chez les marines, les ordures. Toujours à vous donner à faire des trucs qui serait pas bon à donner à des chevaux, toujours à se foutre de votre gueule pasqu'on à pas leurs physique de blanc-becs dégénérés. On était là avant eux, c'est peut être ça qui leur plaît pas !
La route s'étend devant nous, et je me réveille en pensant à tout ça. Le chargement est vide, et Jimmy en profite pour foncer pleine bourre sur l'asphalte déserté de la route industrielle qui nous éloigne des grands lacs. Le soleil me chauffe un peu. J'ai peut être un peu abusé sur le joint hier soir. Enfin… Ce soir c'est la fête des mères, et je ne vais pas trop parler de ça, parce que ma pauvre mère, qui m'a déjà renier mille fois en ferait une syncope. Déjà que je ne serai pas à la maison ! Mon père et moi, on ne se parle plus. Trop d'incompréhension. Pour lui, un chicanos doit fermer sa gueule, bosser, embrasser son patron pour le remercier d'être sur cette putain de terre de liberté avec la carte verte, plutôt que de trier des haricots rouges. Alors bon, ma défiance, mes cheveux longs… C'est pas son trip. C'est pas grave. Ce soir, je joue au Cucamonga, le club de Baltimore. Ca dépote pas mal ce qu'on fait, on est un jeune groupe. Pour tout dire, c'est la première fois qu'on le sort, et on a envie de montrer aux jeunes avinés de la ville qu'on a du punch à revendre. En fait, je sais pas trop ce que ça va donner ce groupe. Faut dire qu'il y a pas longtemps qu'on répète, d'ailleurs, pour ce soir, on a trouvé un nom de groupe de circonstance pour l'occasion : The Mothers.


Absolutely Free Plage 8 (2'32)


Je regarde Jimmy. Il a l'œil attentif sur la route, mais en même temps, il bat la mesure sur le volant. On se croirait dans un vieux film, les deux héros n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre. Je regarde ses doigts qui reproduisent à la fois le temps et les attaques, et je n'ai même pas d'efforts à faire pour le suivre mentalement Deu deu deu da deu deu deu din da din da fin din da. On est affûté comme des lames. Ce soir, ça va danser ou ça va partir. Avec nous, c'est quitte ou double. C'est pas de notre faute, pour ça non plus, on n'est pas très WASP. Je tape dans les Camel posé sur le bord du pare-brise, et Jimmy me regarde d'un œil torve, genre ça fait 8 heures que je conduis et je suis bien content de te voir émerger, old fellow !
-Pas faim ? me demande-t-il, avec la parcimonie d'un chef de guerre. Signe de tête renfrogné de ma part, et je m'étire. La première bouffée de la journée est toujours la meilleure.
-Prêt pour ce soir. ? " J'ai trop les boules ", j'ai envie de dire. Mais je les ai tellement que ça ne sort pas. Jimmy et moi, ça fait bientôt cinq ans qu'on écume les mêmes scènes sans trop de mal. Cinq ans que les trajets ensemble nous ont forgé le même caractère. Et pourtant, ce soir… Tout ça à cause d'un putain de rital. Il est le chanteur et le guitariste du groupe, et on sait qu'avec lui, il faut s'attendre à tout. Les irlandais, ils vont rien y comprendre. Pour faire danser comme nous, faut avoir un autre sang dans les veines. Y'a qu'à voir la reprise des Pharaos qu'on fait, Louie Louie, pour bien se rendre compte ce que c'est que le tempo. Et encore, ça c'est de la musique de blanc. Si j'étais allé traîné mes guêtres du côté de la Nouvelle-Orléans, peut être que je ne m'occuperai pas de ce genre de stupidité pour garçons de ferme. Mais y'a ce putain de rital, Franck, qui m'oblige à voir plus loin. Sinon, je crois que je me ferai un plaisir de me bourrer la gueule ce soir en débitant mes quatre notes, comme je l'ai toujours fait.


Eric Dolphy Plage 4 (3'26)


C'est comme ça que j'ai connu la clinique de la musique noire, en commençant à m'intéresser aux musiques de mes frères de couleur. Le Bop, le Cool, Le Free, Franck en avait plein la bouche. Quand tu arrives chez lui, tu le comprend très vite. Son père l'a laissé faire des études. Il a plein de disques. Même des disques européens, de la musique imbitable, avec des percus partout. Jimmy, ça le rend fou. Alors pour l'instant, il nous a initié au Jazz, mais au vrai, celui de mon pote Marvin dispense dans sa clinique, Dolphy, Coleman, Hancock… Il y a déjà suffisamment à bosse avec ça. Moi, ça me fait tripper, mais je suis pas sur que ça marchera un jour. Mais Franck, il est comme ça. Il reprend les succès de l'amérique blanche en y instillant des morceaux de la culture des minorités.
Lui, c'est un fou furieux. J'ai pas d'exemple précis à vous donner, mais un jour, il se fera cramer la gueule. Pendant Louie, Louie, il insulte les WASP qui dansent. Il leur dit qu'ils puent. Mais comme l'Irlandais de base est trop aviné pour comprendre, ça passe, jusqu'un certain moment. Faut dire qu'un chicano, un comanche, un rital et un viking sur la même scène devant des putains de mormons en socquette, ça à tendance à ramener les désirs de vengeance des demeurés de la côte Est. Y'a des moments, quand les chorus partent en sucettes, je me dis qu'ils doivent vraiment se demander ce qui se passe, en plus il paraît que ce qui nous fait plaisir à tendance à leur coller les nerfs. De même lorsque Franckie a décidé de reprendre un Doo-bop de collège en y mettant des paroles dégueulasses. Un fou furieux je vous dit. On serait à New York, on l'appellerait un Freak, sans même se poser plus de question. Ici, on l'appelle pas, on le frappe. Mais ça aurait plutôt tendance à lui filer des ailes. Pour tout vous dire, même les rares intellectuels de la ville de Baltimore avait tendance à le fuir comme la peste. Il paraît qu'il avait fait de la tôle.


The lost Episode Plage 9 (1'25)


Moi aussi, j'avais connu la fraîcheur de leur paillasses, pour avoir expliquer d'un peu trop prêt à un mec qu'il était trop con ; A ce jeu là le sang gicle toujours plus vite qu'on aurait voulu le voir sortir. Mais lui c'était pas ça. Pornographie à ce qu'on dit. Il avait enregistré les pâmoisons d'une frangine pour les mettre sur un morceau. Un fou furieux, j'vous l'ai déjà dit. Mais comme dit Jimmy, quand il lui arrive de parler, c'est un malade qui peut nous amener loin de Baltimore. Soit à Frisco, Soit à Alcatraz. Y'a pas de rêve américain. Y'a que des hold-up plus ou moins bien fait.