Amour, Prozac et autres curiosités, de
Lucia Etxebarria

 

Amour, Prozac et autres curiosités est un bouquin que j'ai acheté par hasard, parce la couverture m'avait tapé dans l'oeil : un très gros plan d'une femme aux cheveux très noirs et aux lèvres rouge sang, qui s'avancent vers nous, gourmandes, comme pour nous baiser le front d'un gros Smack bien sonore qui laisse des traces de rouge à lèvres.

Ce bouquin raconte l'histoire de trois soeurs, Cristina, Rosa et Ana, regards croisés, écris à la première personne, sur des existences cassées. A chaque chapitre, ou presque, on change de personnage, l'une ou l'autre des trois soeurs, qui écrit avec son propre style. Des styles qui collent tellement à ce qu'elles sont que, très rapidement, on sait, dès les premières lignes qui de Cristina, Rosa et Ana exprime son malaise, cette quotidienneté si étouffante et ce passé douloureux. Car chacune, à sa manière, souffre de son passé et de son présent.

Cristina, ex-étudiante brillante, devenue barmaid pour payer dans un premier temps ses études et dans un second temps son ecstasy, suicidaire tendance nympho depuis l'adolescence. On trouve ça folklorique au début, on se dit qu'elle maîtrise sa vie et que c'est une "femme libre". Sauf que quand on découvre, petit à petit, l'histoire de cette folle furieuse très "sex, drugs and rock n' roll", on se sent mal à l'aise, tellement mal à l'aise qu'on aurait presque envie de refermer le bouquin pour ne plus jamais le rouvrir.

Rosa, business woman soi-disant accomplie, qui semble n'envisager sa vie qu'en célibataire affirmée et assumée et qui ne jure que par sa carrière dans la haute finance madrilène. On imagine assez facilement le désespoir dans lequel elle vit. Et on découvre, là aussi petit à petit, la misère sexuelle à laquelle se résume son existence, et les traumatismes de son adolescence.

Ana enfin, femme au foyer et mère de famille rangée... dépressive et shootée aux amphétamines la journée et aux somnifères la nuit... et même parfois elle ne sait plus très bien faire la différence. Là encore, on suit sa descente aux enfers, d'abord à travers le regard des ses deux soeurs, puis directement sous sa plume. On suit avec quelle maladresse ses soeurs vont essayer de la sortir de sa déprime et avec quelle incompréhension et quel mépris sa mère, catholique fervente, considère la médiocrité de sa vie.

On est dans le Madrid d'Almodovar, avec des personnages qu'il aurait pu créer. Mais loin de surfer en profiteuse sur le succès de ce génialissime réalisateur, Lucia Extebarria dépeint avec humanité, mais aussi avec humour, le quotidien de ces trois jeunes femmes, élevées comme il se doit chez les bonnes-soeurs, chez qui elles ont appris, avec plus ou moins de bonne volonté, à se méfier des hommes et de la sexualité. Car il faut le reconnaître, tout ou presque tourne autour de ces deux thématiques centrales que sont le sexe et la religion. On en revient toujours à leurs histoires de coeur et/ou de cul, avec, en filigranne, leur éducation rigide, donnée par une mère plaquée par un père volage, et des religieuses frustrées, qui prônent sans le savoir un saphisme quasi-sectaire.

Amour, Prozac et autres curiosités, de Lucia Extebarria, éditions 10/18, collection Domaine étranger (donc à un prix abordable).

DJette Klarabel